Lorsque le guide a laissé entendre que le Canada était un pays équilibré, le bus entier s’est mis à rire.
Le jeune Nicaraguayen essayait d’expliquer comment le Nicaragua s’était soustrait à la dictature d’Anastasio Somoza pour tomber entre les mains des dictateurs sandinistes. Le Canada était censé être un modèle de ce que son pays avait réellement besoin – l’équilibre.
Il décrit pourtant Daniel Ortega, réélu en 2011 à titre de président du Nicaragua, comme un gauchiste-caviar se dépeignant lui-même comme un « socialiste pratique ».
Ce côté pratique provoque toutefois quelques froncements de sourcils avec le nouveau slogan adopté par les sandinistes – christianisme, socialisme et solidarité –qui démontre que les sandinistes ont trouvé de nouveaux arrangements avec l’Église catholique conservatrice. Il existe même un parc de la foi près du Palais national avec un obélisque commémorant la visite du Pape Jean-Paul II.
Managua est une ville étrange. Meurtrie et terrifiée par le tremblement de terre de 1972, qui a dévasté la capitale nicaraguayenne, on y voit quelques gratte-ciel, en dépit d’une population de 1,4 million de personnes. La capitale aux constructions basses s’étend devant le Lac Nicaragua et un lointain paysage composé de volcans. Le guide nous dit que les séismes font partie de la vie ici, avec en tout cas un tremblement de terre par mois.
C’est aussi une ville jeune, mais différente des nôtres. Avec des salaires si bas, les gens ne se promènent certainement pas les yeux fixés sur des téléphones intelligents. Pour la plupart, les choses sont décidément rudimentaires ici.
Tandis que le paysage est spectaculaire, la ville est loin d’être attrayante, avec une grande partie de l’architecture historique exploitée par la plupart des villes à des fins touristiques détruite par une catastrophe naturelle ou par la révolution. Dans un pays aussi magnifique que le Nicaragua, Managua fait définitivement tache.
Dans une ville de monuments, certains ayant perdu des pièces suite à la révolution cherchant à éradiquer les symboles du régime précédent. On voit par exemple un énorme aigle auquel on aurait arraché le torse dans un moment de rage contre les Américains… deux ailes surdimensionnées restent. D’autres statues ont été décapitées. On voit partout des images de leurs héros actuels, dont Sandino avec son gros chapeau de cowboy à bords flottants. Il surplombe même la ville – une grosse silhouette de Sandino a été érigée sur une montagne qui divise la vieille ville de la plus nouvelle.
Augusto Sandino est devenu un héros dans toute l’Amérique latine après avoir résisté aux Américains pendant une rébellion entre 1927 et 1933. Dépendant des États-Unis, la relation est complexe, un peu comme ce qui s’était passé lorsque les Américains menèrent leur propre révolution, en 1776.
Le guide nous dit que son père était médecin et qu’il était spécialisé dans la recherche sur le sida. Son travail l’avait obligé à déménager en Floride, où la famille a vécu et les enfants ont fait leurs études avant de voter pour retourner dans leur Nicaragua d’origine. Son éducation anglaise et américaine parfaite ont fait de lui le candidat idéal à la conduite de visites guidées.
Tandis que des colporteurs frappés par la pauvreté se faufilent entre les voitures circulant sur l’autoroute transaméricaine achalandée, notre guide nous parle de sa foi en la mobilité sociale – nous disant que ce sont les plus persistants et ceux qui travaillent dur qui triompheront – même si cela signifie qu’il faut aller vivre à l’étranger pendant quelque temps. Les Nicaraguayens pensent que pour survivre dans leur pays, ils doivent quitter le pays pour aller se remplir les poches d’argent ailleurs, puis revenir chez eux avec l’argent.
Il en résulte des familles déchirées, en particulier lorsque les hommes quittent leur pays pour trouver du travail dans des pays voisins ou, illégalement, aux États-Unis. Ils forment parfois une toute nouvelle famille en chemin. Près d’un demi million de travailleurs migrants, hommes et femmes, ont franchi la frontière du Costa Rica en quête d’un emploi, créant de tout nouveaux problèmes pour leur voisin d’Amérique centrale. Selon le Dr Harold Campos, un ancien médecin du réseau public qui travaille à l’UNICEF, 15 pour cent de l’économie du Nicaragua provient de l’argent que les migrants envoient à leurs familles.
Les plaintes au sujet du gouvernement nicaraguayen actuel ne sont pas étrangères aux Canadiens. Comme au Canada, le gouvernement repousse l’âge de la retraite et augmente les cotisations aux régimes de retraite. Comme au Canada, le salaire minimum ne suffit pas pour sortir les travailleurs de la pauvreté. Comme au Canada, le gouvernement travaille secrètement et la société civile commence à contester sa légitimité constitutionnelle. Comme au Canada, le taux de chômage est trop élevé.
Et pourtant, dans un même souffle, les Nicaraguayens nous parlent aussi des accomplissements des sandinistes. Ils ont considérablement réduit le taux de mortalité infantile en instaurant des programmes de santé publique. Ils ont anéanti l’analphabétisme. Le paludisme a presque entièrement disparu dans le pays. Les conflits frontaliers sont en voie d’être résolus. Les conditions s’améliorent pour les enfants. Les sandinistes ont introduit avec succès des programmes de développement des petites entreprises. L’automne dernier, une charte des droits sans précédent a été adoptée pour protéger les femmes contre la violence.
Tandis que les gens se plaignent du coût direct de la mise en œuvre des projets d’énergie verte, le Nicaragua est un des pays les plus susceptibles au monde lorsqu’il s’agit de changement climatique. Le guide nous a dit que la sécheresse avait détruit deux récoltes de suite dans sa ferme. Un champignon menace sérieusement les récoltes d’un des principaux produits exportés au Nicaragua – le café. Les prévisions en ce qui concerne la croissance de l’économie nicaraguayenne baissent à cause de cela, une dure réalité compte tenu des taux d’inflation.
Pourtant, malgré tous ces problèmes, les gens ne semblent pas trop s’en faire. Le Dr Harold Compos nous a dit que « quand il n’y a pas de conflits, c’est un problème ».
En dépit de la relation amour-haine avec les sandinistes, il préfère encore dire que ce sont des « partenaires nécessaires ».
Une des premières choses que nous avons vues dans le cadre de notre visite est un fossile d’empreinte de pied de 6 000 ans, découvert pendant un projet de construction dans la capitale.
Des gens vivent ici depuis très longtemps. Tandis que la mobilité sociale peut être une illusion pour la plupart des Nicaraguayens dont les parents ne sont pas des professionnels, il reste toujours un sens de persistance.
Demain, nous irons à Masaya et visiterons une coopérative communautaire de femmes qu’Horizons amitié a aidé à mettre en œuvre. La coopérative est un modèle que de nombreux Nicaraguayens voudraient imiter. Son succès est tel qu’elle n’a plus besoin du soutien d’Horizons amitié et vole de ses propres ailes.